Cours complet sur l´échange

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Le troc, la base de l´échange
Le troc, la base de l´échange

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Chapitre 1 : L’Échange

Chapitre 1 : L’Échange
1) La catégorie de l’échange
2) Les formes de l’échange
3) Valeur d’usage et valeur d’échange
4) De la valeur d’échange
5) De la valeur échangeable

1) La catégorie de l’échange

L’être humain, nous rappelle Aristote, est un être de besoins. Il se différencie de
l’animal par le fait qu’il produit, essentiellement, ce dont il a besoin. Ces besoins se
situent, d’une manière générale, à deux niveaux : ils sont d’ordre matériel et d’ordre
culturel. Il ne s’agit pas d’établir ici une séparation nette entre une dimension et
l’autre. Dans la réalité il y a plutôt interaction, car le matériel est culturel et le
culturel tend à sa propre objectivation.

Cela dit cette différence nous permet de souligner le fait que l’être humain ne
produit pas uniquement, comme on le sait, des biens matériels, il produit aussi des
abstractions, comme les référentiels. En ce qui concerne la production matérielle, il
est important de remarquer que l’être humain ne s’approprie pas simplement la
nature, il tend à la transformer. Le cru tend à devenir cuit. Mais cette transformation
est elle même un processus de culturalisation, car la production se réalise au sein
d’une communauté qui possède son propre acquis au niveau de l’appropriation,
comme dans celui de la transformation des choses. Cet acquis est ce que nous
appelons une tradition.

C’est donc au sein de la communauté et à l’intérieur de sa temporalité que le
processus de production et de reproduction se réalise. Mais, dans cette activité nous
avons affaire, d’une manière générale, au rapport simple entre la production et les
besoins. Ceci indépendamment du fait que la production et les besoins sont
conditionnés culturellement. Plus précisément, par l’acquis global d’une
communauté, dans les relations au sein d’elle-même et par rapport à son monde et
au monde comme tel.

Les produits destinés à satisfaire les besoins – organiques et culturels – sont ce
que nous appelons des biens ou des valeurs. L’être humain est ainsi un producteur
de valeurs. Par rapport à ces valeurs, les besoins sont différenciés. De sorte que plus
un bien est nécessaire, plus il est estimé : plus il a de la valeur pour le sujet du besoin.
La valeur est ainsi conditionnée, dans l’univers de la choséité, par la rareté et
l’abondance. Plus précisément la valeur est en rapport inverse à l’abondance et en
relation directe à la rareté. Tout ce qui est rare est cher disait Aristote. Cela veut dire
– selon le niveau de la conceptualité dans lequel nous nous trouvons – que ce qui est
rare est hautement apprécié, parce que désirable.

La rareté et l’abondance qui conditionnent la valeur sont le résultat : soit de la
nature, soit du niveau d’activité de la communauté sociale. Le but même de
l’humain, en ce qui concerne son activité productrice, est celui de surmonter les
conditions de la rareté naturelle. Cela dit c’est en vue de satisfaire des besoins que
l’activité productrice se réalise. Mais ces besoins ne sont pas uniquement de l’ordre
des singularités, ils sont aussi d’ordre familial et communautaire. – Le concept de
communauté renvoie ici aussi bien à la sphère immédiate qu’à la sphère générale de
l’humain. De sorte que le sujet des besoins peut se situer aussi bien au niveau
singulier et particulier, qu’au niveau universel. Nous parlons ainsi de communauté
familiale clanique, tribale, sociale, nationale et des nations.

Ce qui soutient la communauté humaine, quelque soit son niveau, c’est le besoin
que nous avons les uns des autres. Ce besoin est, pour ainsi dire, la puissance
agglutinante qui assure l’existence des communautés. Mais, ce besoin est
essentiellement besoin de relations : de rapports d’échange. Aristote avait signalé à
ce propos que l’être humain n’est pas un animal destiné à vivre dans la solitude,
mais à vivre en communauté. Pour cette raison, disait-il, l’échange est consubstantiel
à la vie en communauté. En d’autres termes, il ne peut pas y avoir de vie sociale sans
échange.

Selon sa dimension anthropologique, la catégorie de l’échange couvre tous les
rapports entre les êtres humains. C’est ainsi, qu’il y a de l’échange au niveau de
l’amour, comme de l’amitié. Et l’amour et l’amitié sont des biens, donc ce dont l’être
humain a besoin de par sa nature même. Cela dit, l’échange qui nous intéresse ici
essentiellement, est celui qui se situe au niveau de la choséité. Donc, des biens
produits ou médiatisés par le travail humain.

L’échange au niveau de la choséité est ainsi la manifestation concrète de la
reproduction matérielle des communautés. Son importance dans la vie des
communautés explique le fait que toutes les formations sociales ont essayé de régler
sa manifestation. Il s’est agit, plus précisément, de garantir la proportionnalité dans
l’échange, en vue de sauvegarder l’existence communautaire. La règle générale veut
qu’entre égaux l’échange soit égal, tandis qu’entre inégaux l’échange soit inégal.
L’égalité dont il est question ne peut être qu’une égalité proportionnelle. Elle se
situe, par conséquent, au niveau de la valeur. Car, l’échange purement égal ne peut
exister entre des choses dissemblables. Or, c’est essentiellement à ce niveau que se
réalise l’échange.

L’échange inégal est celui qui est médiatisé par la hiérarchie sociale. Dans
l’univers de la communauté l’échange inégal se réalise entre les communautés
simples et l’Unité supérieure*25. Il se réalise aussi, d’une manière plus conforme aux
principes, à travers le don et l’offrande. Par ce rapport, de niveaux différents
d’autorités échangeaient dans une relation d’inégalité.

Dans l’univers de la société nous assistons à un phénomène d’individuation
généralisé. Les citoyens sont les sujets de l’État. Or l’État, en tant que détenteur de
valeurs communautaires, rentre en rapport d’échange avec les citoyens pour constituer et pour redistribuer la chose publique. Dans cette relation nous avons affaire à un échange inégal. Selon la logique de cette relation, l’État est censé donner plus que ce qu’il reçoit *26. Lorsque cette logique est inversée, nous avons affaire à un système perverti et pervertissant, parce que non conforme aux principes.

L’échange est, comme nous venons de le voir, consubstantiel à la vie en
communauté, mais pour qu’il soit viable il est nécessaire qu’il soit conforme aux
principes. Ces principes sont le produit de la logique des valeurs. Ils sont en tant que
tels conditionnés par l’intuition ou par la perception rationnelle de ce qui est
conforme au juste. – Curieusement des classiques comme Ricardo et Malthus ont
parlé de principes de l’économie, mais ils n’ont pas pris suffisamment conscience de
la charge axiologique de cette catégorie. Plus précisément du fait, que parmi les
valeurs produites par l’être humain, il n’y a pas que celles qui sont destinées à
satisfaire les besoins de consommation, de bien être et d’ostentation, aussi que
production normative se trouve elle même inscrite dans la production générale des
valeurs.

Cela de telle manière que les valeurs d’ordre universel priment sur les valeurs
d’ordre particulier. De même que les valeurs englobantes priment par rapport aux
valeurs immédiates. Certes, l’être humain a besoin de pain ; mais, il est très
important de comprendre que cette production se réalise au sein d’un ordre donné. –
Nous appelons cet ordre soit communautaire, soit social *27.

25 Nous employons ce concept dans le sens que Marx lui a donné : l’État dans les grandes
structures communautaires.
26 Il procure de la sécurité juridique et il reçoit de l’argent, par le biais des prélèvements
obligatoires.
*27 De ce point de vue, nous maintenons la différence essentielle qu’introduit Tönnies entre communauté et société.

L’ordre communautaire est celui qui n’est pas fondé sur l’individualité, mais plutôt sur les communautés simples. L’ordre social, par contre, est celui qui est fondé sur un niveau plus ou moins accompli de l’individualisme.

La production et la reproduction matérielles quant à elles se réalisent au sein
d’une production normative donnée. Cette production normative est dans le cas de
l’économie le droit objectif. Cette juridicité est à son tour conditionnée par une
légitimité supérieure qui est en dernière instance l’axiologie rationnelle. De plus,
cette dimension axiologique est composée de valeurs d’ordre universel, de cadre
référentiels et de principes. Cet ensemble de niveaux est ce que nous appelons le
règne des valeurs. Plus précisément, le ce par-quoi l’humain satisfait ses besoins.
De sorte que l’économie – « oikos » et « nomos »- contient le droit comme
moment essentiel, et par-delà la juridicité, le règne des principes. Le droit est un
ordre institué, tandis que les principes sont les présupposés. Il y a des principes qui
correspondent au droit proprement dit, comme il y en a, qui correspondent à
l’économie. Donc, de cette forme de production et reproduction matérielle qui se
manifeste au sein d’un monde individualisé.

Si nous introduisons cette différence au niveau de la production et de la
reproduction matérielle, c’est pour rappeler que la forme communautaire se réalise
au sein d’une normativité produite par l’éthique familiale. Par contre l’économie se
réalise au sein d’une normativité produite par un niveau plus ou moins accompli de
la figure de l’individualité. Nous parlons dans le premier cas de règles morales et
dans le deuxième cas de normes juridiques.

Á partir de cette explicitation il apparaît plus clairement le fait : Premièrement,
qu’il est hautement problématique de parler d’économie primitive, par exemple,
donc d’économie dans un ensemble où il n’y a ni « oikos », ni « nomos » ; et
deuxièmement, que l’activité matérielle est nécessairement encadrée par la
normativité et conditionnée par des principes.

L’activité matérielle est une pratique et implique, quant à elle, une connaissance
plus ou moins importante. Chaque niveau de l’activité matérielle présuppose, par
conséquent, un niveau de connaissances données. C’est ainsi que l’agriculteur doit
connaître les techniques de son domaine, qui comme on le sait, sont multiples et
variées. Il en est de même pour le médecin ou l’architecte. Ce besoin de
connaissances concerne aussi des activités infiniment plus simples, comme celle du
balayeur, ou de l’ouvrier qui travaille dans une chaîne.

Ces activités rentrent dans le domaine de l’économie, mais ne sont pas de
l’économie à proprement parler. L’économie se rapporte essentiellement à loi de
l’échange et présuppose des sujets individualisés. Du temps de sa formation, dans le
monde grec, l’économie avait comme sujet le foyer. Ce foyer implique : le chef de
famille, sa femme, ses fils célibataires ou mariés, ainsi que les esclaves et les enfants
des esclaves. Le chef de famille était le seul sujet de contrat *28. Donc, en dernière
instance le seul sujet de l’échange, parce que seul sujet de droit. L’ « homo
economicus” présuppose ainsi l’ « homo juridicus ».

À présent, avec le développement du phénomène individualiste et donc de celui
du droit, nous avons affaire à deux formes de sujet : l’individualité et la personne
morale. Les rapports d’échange entre ces sujets sont comme nous venons de le
signaler, l’objet de l’économie. Mais, cet ensemble relationnel présuppose des
principes et s’objective dans des catégories qui sont les résultats de ce système des
besoins *29.

28 Il faut rappeler à ce propos que ce sujet de droit était en principe sujet de la cité, le citoyen. Les autres membres de la famille n’avaient pas de droit, ils n’avaient que des devoirs envers le seigneur de la maison. Ce que veut dire qu’ils avaient autant de droit que les esclaves et que les animaux domestiques.
29 Par ce concept, Hegel exprime le simple fait que tout système économique est en dernière instance un ordre dans lequel une communauté sociale satisfait ses besoins. Á ce propos, comme on le sait, il y a des systèmes qui privilégient les besoins de ceux qui gouvernent, tandis qu’il y en a d’autres qui se proposent de satisfaire le bien être général.

Le développement des échanges mène au marché international. Donc, à la
domination de cet ensemble sur les communautés sociales particulières. Nous avons
là, par conséquent, affaire à une totalité qui présuppose un ordre institutionnel et où
les sujets sont en dernière instance les États. Lesquels se situent, selon les principes de
l’ordre institutionnel qui conditionnent son existence, en rapport d’égalité. De sorte
que par delà la logique de l’échange au sein des communautés sociales, se situe le
rapport de l’échange international. Au sein de cette totalité, seul est légitime et viable
l’échange selon les principes de l’égalité proportionnelle. -De ce point de vue, il est
important de comprendre que le jugement se rapportant à la viabilité, ou à la non
viabilité d’un ordre donné ne corresponde à son exigence axiologique que s’il est
exprimé à partir des principes.

La théorie économique sans connaissances des principes qui doivent
conditionner son existence, est un savoir limité par les mécanismes du marché.
Donc, par la simple circulation des valeurs au sein d’un ordre donné, lequel tend à
être considéré comme immuable, comme donné une fois pour toutes. Il manque dès
lors à cette perception la conscience du fait que l’ordre normatif est lui même un
produit de l’humain, tantôt en tant que pratique traditionnelle, tantôt comme
produit de la raison instituante.

2) Les formes de l’échange

Généralement parlant, il y a deux formes d’échange : l’échange simple et
l’échange élargi. L’échange simple est le rapport direct de bien contre bien. Nous
employons aussi, à ce propos, le terme de troc. L’échange élargi est, par contre, celui
qui se réalise par le biais de la monnaie.

L’échange simple est celui qui se manifeste à l’intérieur de la communauté
simple. Le règne de la communauté est celui dans lequel le principe de
l »individuation n’existe pas encore. La production pour l’échange n’y est pas le but
de l’activité productrice. Le but de cette activité est la satisfaction des besoins de la
famille. Plus précisément, les biens produits sont destinés à satisfaire les besoins
immédiats des producteurs et de leurs familles. C’est le surplus qui s’y échangeait,
selon le principe de l’égalité proportionnelle. Les membres adultes de la
communauté simple, frères et parents proches, se trouvaient sur un pied d’égalité.
De sorte qu’entre égaux l’échange ne pouvait être que proportionnel. Cette égalité
proportionnelle dans l’ordre de l’échange, était garantie par la coutume : par la
pratique traditionnelle.

Dans le règne de la communauté on constate l’existence d’un référentiel. Qui est
très souvent un bien de consommation courant, comme les céréales, le sel, etc., ou
des biens destinés à la parure, comme les coquillages, et les plumes, etc. Il est
problématique de confondre ce référentiel avec la monnaie proprement dite. Il ne
s’agit pas d’une monnaie à proprement parler, car ce référentiel n’est pas un moyen
terme de l’échange. Il permet toutefois de connaître les termes de l’échange, dans le
cas des biens dont le rapport quantitatif n’est pas réglé par la pratique traditionnelle.
Ce référentiel est dès lors, un instrument de mesure, permettant d’évaluer les biens.
Mais d’une manière générale la pratique du troc ne comporte pas le rôle du moyen
terme de l’échange. Cela n’a pas exclu, toutefois, le fait que ce référentiel ait pu
jouer, d’une manière marginale, un rôle monétaire. Dans les centres urbains des
structures communautaires, on a pu constater l’existence de cette fonction. Avec
l’élargissement des échanges apparaît la nécessité d’un moyen terme de l’échange et
d’un instrument de circulation des biens. Ce phénomène va se produire
concrètement, avec l’apparition de la cité.

Le référentiel des structures communautaires, tout comme la monnaie, sont la
manifestation de ce besoin d’une mesure commune. La différence essentielle étant
que le premier, est l’expression de cette mesure dans un monde où la production
pour l’échange n’est pas une dimension dominante. Par contre, dans l’univers social,
où la production pour l’échange est un phénomène dominant, l’existence d’un
instrument de mesure garantie par le pouvoir apparaît comme une nécessité. Cela
dit, dans le règne de la communauté simple, l’échange se réalise essentiellement sous
la forme du troc. Le troc est ainsi l’expression de la proportionnalité dans l’échange,
car il s’agit d’un rapport entre égaux. Il est important de tenir compte du fait que
cette simplicité dans l’échange est possible grâce au fait d’un côté, du caractère
limité de l’échange, et de l’autre, parce que les besoins n’y sont pas diversifiés. En
effet, dans le règne de la communauté simple, les besoins sont semblables.
Mais cette étroitesse de l’échange et des besoins n’exclut pas comme nous l’avons
souligné, la nécessité d’une certaine réglementation dans l’échange. Chacun tend, en
effet, à sur-apprécier ce qui lui appartient30 et à dévaluer ce qui appartient aux
autres. La proportionnalité dans l’échange ne peut être garantie par le simple
rapport des subjectivités. Un niveau de régulation positive s’avère nécessaire pour
surmonter précisément le côté arbitraire des relations entre les subjectivités. Cette
régulation comme nous l’avons vu est donnée, dans le règne de la communauté, par
la coutume.

L’échange proportionnel n’est pas la seule forme de l’échange, au sein de
l’univers communautaire. L’échange peut être aussi inégal. Mais cette forme de
l’échange ne se produit pas entre égaux, il est plutôt le résultat du rapport entre
inégaux. Cette inégalité est le résultat de l’ordre communautaire. En tout cas, elle
n’est pas un produit de la nature.

*30 À cause précisément soit de l’investissement subjectif, soit du narcissisme et de l’égoïsme ou ordinaire.

De sorte que lorsque l’échange est médiatisé par le rapport hiérarchique, le
principe de l’inégalité s’impose. Mais, cette inégalité est faite de telle sorte, que ce qui
est donné par le puissant a toujours plus de valeur, que ce qui provient du hiérarchiquement inférieur. En d’autres termes, l’offrande a de par sa fonction une
valeur moindre que le don. La valeur n’est pas ici une détermination objective, elle
est plutôt le résultat du rapport hiérarchique.

La fonction hiérarchique permet ainsi de sauvegarder le principe de la justice
dans l’échange. En effet, selon ce principe, l’échange doit être conforme à l’égalité
proportionnelle. Dans le cas de l’inégalité, il est nécessaire que le puissant – celui qui
a accès à plus de biens – donne plus que le faible. Le cas contraire est précisément ce
qui n’est pas conforme à la proportion raisonnable, et serait, dès lors, injuste. Plus
précisément l’échange entre égaux serait alors inégal et entre inégaux l’échange
serait égal, voir disproportionné à tel point que le puissant donnerait moins que le
faible. Dans ces conditions, comme on peut aisément le comprendre, nous avons
affaire à un ordre perverti et pervertissant : incapable de garantir la proportion
raisonnable. En parlant de ces catégories, Aristote souligne précisément que le juste
est cette dimension qui est capable de promouvoir et de maintenir la vie en
communauté. Cette dimension étant la proportion raisonnable qui fait qu’entre
égaux l’échange doit être égal et inégal entre inégaux. Mais, l’inégalité dont il est
question doit toujours se manifester dans l’échange de telle sorte que le puissant doit
donner plus que le faible.

Par delà le problème du «logos » des catégories, il est important de tenir aussi
compte du fait que l’échange inégal joue au sein de la communauté un rôle de
premier ordre. C’est en effet, par le biais du don et de l’offrande que les biens
tendent à circuler au sein des grands ensembles communautaires. Ainsi, les biens
qui manquent dans certaines localités ou régions y parviennent, précisément, par
cette forme ritualisée de l’échange. L’ethnologie nous signale, à ce propos, que
chaque fois qu’une autorité inférieure (le chef d’un village, ou d’une communauté
agricole) rendait visite à une autorité supérieure, elle lui offrait les biens propres à sa
localité. Par contre, cette autorité pouvait recevoir en contre partie de son don, une
offrande venant d’une région autre que celle où se trouve établie l’autorité
supérieure. C’est ainsi que beaucoup de biens circulaient là où ils étaient rares. Le
cas du sel est, à ce niveau, un exemple très significatif.

Cela dit, ces formes de l’échange existent aussi au sein de l’univers social. D’une
manière générale l’échange égal est celui qui a lieu à l’intérieur de la société civile,
tandis que l’échange inégal est celui qui se rapporte à la constitution et à la
redistribution de la chose publique. L’univers social est le règne de l’individualité,
plus ou moins accompli. Nous avons affaire ici à un processus qui va de
l’individualisme comme phénomène marginal, à l’individualisme en tant que
dimension accomplie. Ce processus est celui de l’objectivation de la substance
éthique de l’humain, donc de la réalisation d’une communauté d’égaux. Par
conséquent, l’accomplissement de « l’isonomia » et de « l’isocratia ».

Pour ce qui est de la formation de l’univers individualiste, il est important de
comprendre que ce monde implique la réalisation d’un certain niveau d’égalité entre
les membres de la société civile. Le minimum est ici l’égalité juridique, pour ce qui
est du domaine du droit se rapportant aux contrats. L’individualité sous sa forme
première se situe sur le même pied d’égalité que toute autre pour ce qui est du
principe de la propriété, du contrat, du testament et de l’échange en général. Cette
individualité présuppose par conséquent, d’une manière générale, la même capacité
juridique dans ces domaines.

Ce niveau d’individualité permet ainsi la réalisation de l’échange proportionnel.
Mais, étant donné l’importance de l’échange et de la diversification des besoins au
sein de l’univers social, il s’est avéré nécessaire de trouver une mesure commune, ou
plutôt, de l’instituer. Cette mesure commune, nous rappelle Aristote, s’appelle en
grec « nomisma », de « nomos » loi. De sorte, qu’au point de départ de l’univers social il y a le principe de l’égalité formelle des sujets de l’échange et puis le fait de l’existence d’une mesure commune.

L’ensemble de ces conditions, n’est pas d’ordre naturel. C’est la raison instituante
qui crée les conditions de l’échange égal, car entre égaux l’échange ne peut être que
proportionnel. Il est à remarquer qu’au sein de la communauté simple l’égalité n’est
pas le résultat d’une institution quelconque, mais le produit même de la nature. Les
sujets de l’échange y sont, en effet, des frères, des cousins. En tout cas, de proches
parents.

Or, comme on peut aisément le comprendre, cette proximité dans les liens
familiaux ne peut exister dans une communauté plus vaste comme la cité. À
proprement parler la cité, ou la «polis » est le résultat de la mobilité horizontale.
Plus précisément, de l’émigration interne au sein d’une culture donnée. Cela fait que
des êtres provenant de régions différentes – les métèques (« meta oikos ») : ceux dont
les foyers se trouvent dans un ailleurs plus ou moins distant -, s’installent dans un
même espace : la cité. Cet afflux crée non seulement une extranéation de plus en
plus importante au sein de la cité, mais aussi le fait que les besoins sont de plus en
plus différenciés. De sorte qu’à la différence de la communauté simple, où les
besoins sont semblables, nous avons affaire dans le cas de la cité à des besoins de
plus en plus différenciés. Ce qui tend à produire une multiplicité grandissante de
biens, destinés à satisfaire ces besoins. Dans ces conditions, comme on peut aisément
le comprendre, le troc s’avère être particulièrement inadéquat. De là la nécessité
d’instituer une mesure commune, capable de mesurer les biens les plus différenciés,
et par conséquent, susceptible d’assurer la proportionnalité dans l’échange. La
monnaie permet ainsi de connaître le prix des biens et des services *31 et ainsi de pouvoir réaliser les échanges selon le principe de l’égalité proportionnelle. De plus, le
système marchand produit une série de mécanismes objectifs capables d’assurer
cette proportionnalité.

*31 À proprement parler, le concept de biens et services est une redondance, car les services correspondent à des besoins et sont, par la même, des biens.

En effet, tout d’abord, il y a le fait que le prix est une catégorie objective au sein
d’un marché donné. Cette objectivité est, quant à elle, le résultat du rapport entre les
besoins d’une communauté sociale et la production effective capable de les satisfaire.
De plus, à l’intérieur d’un prix donné il y a toujours la possibilité de marchander,
surtout dans le monde traditionnel. Chacun est ainsi poussé, par son propre intérêt,
à chercher le meilleur rapport qualité/prix. Cette recherche rentre aussi dans le
commerce de l’existence ; lequel ne consiste pas uniquement dans la pratique de
l’échange elle-même, mais aussi de l’obtention de l’information concernant le
meilleur rapport qualité prix. La satisfaction des besoins et les moyens les plus
adéquats pour les satisfaire, crée ainsi une multiplicité de relations qui constitue le
fondement de la vie sociale. Il y a enfin, comme mécanisme régulateur, la juridicité
elle même, car une marchandise peut avoir un défaut qui peut ne pas être décelable
à première vue. En d’autres termes, l’acheteur peut bien subir une mystification de
la part du vendeur. Dans ce cas, l’acheteur peut toujours engager un procès contre le
vendeur. Le rôle du juge étant, dans ces conditions, celui de rétablir l’égalité
proportionnelle, voir de pénaliser le vendeur pour avoir – lorsque la mauvaise foi
peut être prouvée – trompé son client. Violant ainsi le principe de la proportionnalité
dans l’échange ; lequel, comme nous l’avons souligné, maintient et garantit la vie
sociale.

Par rapport à cette problématique, il nous semble essentiel de comprendre que le
principe de la proportionnalité dans l’échange n’est pas un phénomène qui va de soi
dans la société, comme cela est le cas dans la communauté. L’étroitesse des biens
familiaux, dans un monde où la famille est le support même de l’existence, est, dans
le règne de la communauté, une garantie substantielle pour la sauvegarde de ce principe. Dans le cas de l’univers social, c’est à l’ordre institutionnel de maintenir et
de garantir ce principe. En d’autres termes, dans le règne de la communauté c’est la
moralité domestique qui garantit en première instance la sauvegarde de ce principe,
tandis que dans l’univers social cette garantie dépend de son ordre institué. La
dimension éthique n’arrive ici qu’en dernière instance.

Cela dit pour ce qui est l’échange inégal comme nous venons de le souligner, il
se manifeste essentiellement, au sein du social, dans le rapport à la chose publique.
Plus précisément, dans la constitution et la distribution de cette « res-publica ». – La
forme rituelle de l’échange inégal tel que nous le trouvons dans le règne de la
communauté, subsiste d’une manière extrêmement marginale dans l’univers social.
Plus exactement, cette progression dans la marginalité est en rapport direct au
niveau d’individuation. De sorte que cette pratique ne joue pas de rôle significatif
dans l’univers social. En effet, les corporations, ou leur résidu, peuvent faire des
offrandes à la personne qui contrôle le pouvoir – le Roi ou le Président de la
République –, et recevoir en échange des dons, mais ces échanges ne jouent pas un
rôle significatif dans les mécanismes de la régulation sociale.

Par contre, dans le rapport entre les membres de la société civile et la chose
publique, nous avons affaire à un échange inégal qui joue un rôle de premier ordre.
Chacun contribue selon ses moyens à la formation de la chose publique et reçoit en
échange d’une manière générale la sécurité et l’administration de la justice, et d’une
manière particulière, les honneurs, les fonctions et l’aide publique. Lesquelles valeurs
sont, en principe, plus importantes que celles qui font parties de la contribution
personnelle. La proportion raisonnable est conditionnée, pour ce qui est la
redistribution proprement dite, par les critères des besoins et des capacités. C’est en
fonction des besoins que les aides publiques doivent être accordées. De la même manière que c’est en fonction de la capacité à contribuer au bien être de la
communauté sociale que l’État choisit ses serviteurs *32.

Il est à remarquer que dans l’univers communautaire, cette forme de l’échange
couvrait aussi le rapport entre l’unité supérieure et les communautés particulières.
L’unité supérieure prélevée dans les communautés particulières et lui apportés de
l’aide en cas de nécessité. Cet échange était, toutefois déséquilibré à cause de la
logique castifié de l’unité supérieure. C’est donc dans et par le don et l’offrande que
l’échange inégal exprime sa logique conforme aux principes. Le principe de la
justice distributive exprime précisément cette nécessité au sein de l’univers social.

3) Valeur d’usage et valeur d’échange

Nous venons de le souligner : l’être humain est un producteur de valeurs. Il
produit des biens par rapport aux besoins. Mais, cette production n’est pas
seulement destinée à l’autosatisfaction du producteur ; elle se réalise aussi en vue de
satisfaire les besoins des autres. Lorsque l’altérité est celle de proches parents
l’échange trouve, comme contre-partie, des biens qui ne sont pas strictement
matériels, tels l’affection et les sentiments. Par contre, lorsque l’altérité est un être
indifférent, l’échange implique un rapport matériel.

*32 Comme on sait, la langue anglaise emploie le terme de « civil servent » pour appeler les
fonctionnaires.

Pour ce qui est de la production, il est important de tenir compte du simple fait
que cette activité se réalise au sein d’une collectivité et est conditionnée par elle.
Smith avait déjà signalé que le but de la production est la consommation. En
d’autres termes que toute production tend à satisfaire des besoins. Lesquels, il faut le
remarquer, sont conditionnés par la vie en communauté. Par conséquent, l’être
humain a des besoins à satisfaire ; mais, en tant qu’être communautaire ou social,
les besoins à satisfaire sont conditionnés par la collectivité. – Nous entendons par
collectivité ici, aussi bien la communauté dans le sens strict du terme que la
communauté sociale. De plus, avec le développement des échanges et
l’accroissement des rapports d’échange, la communauté internationale va jouer un
rôle de plus en plus important.

Cela étant dit, il est très important de comprendre que la production de valeurs
d’usage et d’échange est propre à tout ensemble humain. L’ermite produit
seulement des valeurs d’usage, car dans sa solitude il n’a personne d’autre avec qui
échanger. Il est de même pour Robinson Crusoé dans son île, quelque ait été sa
détermination sociologique, voire la présence de Vendredi. Mise à part ces existences
abstraites, toute vie en communauté implique aussi bien la production destinée à
l’autoconsommation (de la singularité et de sa famille), qu’à l’échange. -Nous nous
référons ici précisément à la production qui se manifeste au sein des communautés
simples, comme celle qui se réalise au sein de l’univers de la société.
Par conséquent, tout ensemble humain produit des valeurs d’usage et des
valeurs d’échange. En d’autres termes, ce double caractère de la production n’est
pas propre au règne de la société, comme le soutient le marxisme. Nous avons
affaire ici à une manifestation de la loi des contraires. Plus précisément, de ce
rapport fondamental sans lequel l’existence collective n’est pas possible. La
différence essentielle par rapport à cette relation fondamentale -valeur d’usage,
valeur d’échange-, s’extériorise dans le fait que la production des valeurs d’usage est
dominante dans le règne de la communauté, tandis que la production des valeurs
d’échange est prépondérante au niveau de la société.

En effet, dans le règne de la communauté nous avons affaire à un système de
production où la valeur d’usage est le but essentiel de l’activité productive elle35
même. Cela veut dire, par conséquent, que les valeurs d’échange sont marginales
dans ce système. D’une manière générale, nous avons au sein du système
communautaire, deux formes de reproduction matérielle : d’un côté celle qui est
assurée par la famille élargie, et de l’autre celle qui est assurée par la famille
monogamique. Dans le premier cas nous avons affaire au modèle dit du village
africain, dans le second nous nous référons au modèle dit inca. -Il est à remarquer, à
ce propos, que nous trouvons ces deux formes de reproduction aussi bien au sein des
systèmes claniques, comme à l’intérieur des grandes structures hautement
centralisées. En effet, dans le cas des systèmes claniques la forme de reproduction
matérielle monogamique, pour ce qui est du travail de la terre, existait dans le cas
des indiens de la forêt amazonienne et chez les indiens pueblos de l’Amérique du
nord. Cela dit, tout indique que le système familial élargi, comme sujet de la
reproduction matérielle, ait été un phénomène dominant dans les structures
claniques.

Cela étant signalé, il est essentiel de comprendre que l’échange, sous la forme du
troc, était plus important dans les systèmes monogamiques que dans les systèmes
des familles élargies. À l’intérieur de ces structures, chaque famille cultivait, dans le
lopin de terre qui lui était attribué, d’une manière générale les mêmes choses et
produisait artisanalement les mêmes types de biens, de sorte que la production de
valeurs d’échange ne pouvait pas être le but essentiel de l’activité matérielle. Au sein
des communautés simples, cette activité ne pouvait être que marginale lorsque,
comme nous venons de le souligner, le sujet de la reproduction était la famille
élargie.

À l’intérieur des grandes structures communautaires, il est à remarquer aussi
que le rapport entre la valeur d’usage et la valeur d’échange ne se manifestait pas,
dans ses différents niveaux, de la même manière. Il a été constaté, en effet, que la
valeur d’échange y était particulièrement marginale au niveau des communautés
simples ; par contre cette forme de valeur tend à s’extérioriser comme catégorie
importante au niveau des centres urbains et plus particulièrement entre les grandes
formations communautaires.

Dans ces structures, les centres urbains étaient les lieux du pouvoir religieux.
Donc, du pouvoir en tant que tel. En marge de cette puissance va commencer à se
manifester le marché, sous une forme non encore accomplie. En effet les centres
urbains vont devenir des espaces marchands, dans le sens strict du terme, avec
l’apparition de la cité : de la « polis ». Le fait est que les ethnologues ont constaté en
marge de ces espaces, de la ritualité du pouvoir, l’apparition d’un marché nonencore
accompli. C’est ainsi que le référentiel y tendait à devenir un moyen terme de
l’échange. Mais, c’est au niveau du marché à longue distance -comme l’a signalé
Aristote *33 – que la production de valeurs d’échange a concrétisé sa prépondérance.
C’est donc au niveau de cette forme d’échange que le marché et les premières
formes de la monnaie ont commencé à se manifester. – Très souvent cette activité, du
commerce à longue distance, était pratiquée par des petites communautés vivant en
marge des grands empires. Ce fût les cas notamment des Phéniciens et plus
précisément de villes comme Sidon, Tire et Almina. Cette activité pouvait aussi être
le domaine de certaines castes très fermées, comme les pochtecas chez les Aztèques
et, dans une moindre mesure, des Banias dans le sous-continent indien. -On peut
constater aussi cette importance du marché à longue distance, en Europe
Occidentale, à l’époque de la formation de la civilisation dite bourgeoise. Plus
précisément, entre le onzième siècle et le début de la guerre de Cent Ans : avec les
Foires de champagne.

*33 Rappelons que cette thèse fut reprise par des théoriciens comme K.Polanyi et F. Braudel.

C’est, en tout cas, avec la consolidation de la cité que la production pour
l’échange va devenir un phénomène de premier ordre. Il est important de
comprendre que ce phénomène implique la manifestation de l’individualisme. Nous
avons affaire ici à une catégorie sociologique qui va être, de par son historicité, tout
d’abord marginale pour atteindre sa plus haute généralisation à l’époque moderne.
Toutefois, à l’intérieur de ce système de l’échange élargi nous constatons l’existence
d’une structure de base : chaque foyer indépendant (« ikos ») échange avec les
autres par le biais de la normativité (« nomos »). En d’autres termes, les sujets de
l’échange entrent en relation au sein d’un ordre normatif.

À l’intérieur d’un tel système, nous assistons à un processus de marginalisation
de la production de valeurs d’usage. Cette production est toutefois toujours présente,
même dans un monde comme le nôtre. C’est ainsi que, d’une manière générale, au
sein de notre société, nous continuons à nous faire nos repas et à réaliser à l’intérieur
de notre foyer des activités non-marchandes. Bien évidement, plus une société est
riche plus ses membres sont en mesure de payer des activités que, dans des
conditions contraires, ils sont obligés de faire par eux mêmes.

Il s’avère par conséquent, que le rapport des valeurs d’usage et des valeurs
d’échange est toujours présent dans la vie sociale. Mais ces catégories ne sont pas
données d’avance. C’est ainsi que ces valeurs sont tantôt en puissance, tantôt en
acte. Dans certains cas nous pouvons constater un mouvement de passage de l’un à
l’autre, plus ou moins limité dans le temps.

Pour expliquer ces catégories de la puissance et de l’acte, par rapport aux biens,
nous devons faire appel à quelques exemples. Supposons le cas du paysan avec son
poulailler. Notre personnage est ainsi un producteur de poules. On peut s’imaginer,
par exemple, qu’il produit deux sortes de poules : les unes étant destinées à sa
consommation et à celle des siens, tandis que les autres sont destinées à la vente.

Notre personnage produit ainsi des valeurs d’usage et des valeurs d’échange.
Mais, dans la réalité ces catégories sont seulement en puissance. Car il se peut
qu’une maladie apparaisse dans le poulailler. Dans ce cas, nous pouvons dire que les
biens en question sont restés de simples valeurs en puissance. À l’intérieur de cet
exemple de producteur de poules, il peut y avoir d’autres cas de figure. Notamment
le passage d’une catégorie à l’autre. C’est ainsi qu’une poule destinée à la
consommation de son producteur peut être vendue. Le cas inverse peut également
se produire. Par exemple, le fait que le producteur soit obligé de consommer une
partie plus ou moins importante de sa production, parce qu’il n’arrive pas à l’écouler
sur le marché. De plus, comme on le sait, la surproduction peut conduire à la
destruction des biens. En effet, dans une telle situation, il est moins onéreux pour les
producteurs, notamment de biens inanimés, de détruire les produits que d’essayer
de les garder en attendant un retournement de tendance.

Pour les biens durables nous pouvons constater le passage d’une catégorie de
valeurs à une autre. C’est ainsi qu’un bijou peut être valeur d’usage après avoir été
valeur d’échange, pour redevenir par la suite valeur d’échange et ainsi de suite. Cela
dit, il est évident, comme l’a signalé Aristote que les biens sont produits en vue de
satisfaire des besoins et non en vue de l’échange. La catégorie de l’échange, et
particulièrement la nécessaire médiation sociale, est une détermination socialement
conditionnée. En d’autres termes la finalité d’un bien est la satisfaction des besoins,
et l’échange est la médiation qui permet la réalisation d’un tel but. Mais, la
médiation ne peut pas être, de par son rôle, un stade définitif ; l’expérience le montre
clairement : un bien ne peut pas s’attarder dans sa médiation sans perdre sa valeur.

En d’autres termes, un bien ne peut pas rester indéfiniment chez le marchand, sans
se déprécier considérablement. Pour cette raison, nous disons que les biens ne sont
pas produits en vue de l’échange, mais pour être consommés. D’ailleurs c’est Aristote le premier théoricien, selon notre connaissance, à avoir fait cette différence. Selon lui, en effet, «Chacune des choses dont nous sommes propriétaire est susceptible de deux usages différents : l’une comme l’autre
appartiennent à la chose en tant que telle, mais ne lui appartiennent pas en tant que
telle de la même manière. L’un est l’usage propre de la chose et l’autre est étranger à
son usage propre. Par exemple, une chaussure a deux usages : l’un consiste à la
porter et l’autre à en faire un objet d’échange ; l’un et l’autre sont bien des modes
d’utilisation de la chaussure, car même celui qui échange une chaussure avec un
acheteur qui en a besoin, contre de la monnaie ou de la nourriture, utilise la
chaussure en tant que chaussure, mais il ne s’agit pas là toutefois de l’usage propre,
car ce n’est pas en vue de l’échange que la chaussure a été faite » *34.
C’est donc en vue de leur usage que les biens sont faits. Mais, cela ne veut pas
dire que l’échange soit en catégorie perverse comme le croyait Marx. Dans son
effectivité, la catégorie de la valeur d’échange est une médiation sociale, car
l’échange est consubstantiel à la vie en communauté.

Il est à remarquer à ce propos, qu’à la suite du passage que nous venons de citer,
Aristote souligne le fait que « la faculté d’échanger », « a son principe et son origine
dans l’ordre naturel, en ce que les hommes ont certaines choses en trop grande
quantité et d’autres en quantité insuffisante »* 35. Le cordonnier par exemple a des
chaussures, ou peut en avoir, mais il manque de tous les autres biens. C’est pour
cette raison que le cordonnier a tout intérêt à réaliser les résultats de son activité, car
c’est seulement ainsi qu’il arrive à avoir accès aux biens qui lui manquent et dont il a
besoin.

34 La Politique, I.9.
35 Ibidem.

Le besoin que nous avons ainsi les uns des autres est le bien qui nous unit et qui
conditionne à son tour le besoin que nous avons d’un ordre conforme aux exigences
de la raison pratique. Donc, de ce point de vue, d’un ordre non seulement capable
d’assurer l’égalité et la proportionnalité dans l’échange, mais de le promouvoir.
Remarquons aussi que c’est le développement de l’échange qui mène à la
spécialisation dans le travail, ainsi qu’à l’accroissement de l’efficacité de la monnaie.

4) De la valeur d’échange

L’interrogation sur la valeur d’échange des marchandises a dominé, comme on
le sait, la pensée économique depuis Ricardo. La forme obsessionnelle que cette
interrogation a prise – parce que considérée comme le point central de la théorie
économique-, a donné lieu non seulement à des jugements sarcastiques par rapport
à elle, mais aussi à sa marginalisation à l’époque actuelle. C’est ainsi que Keynes a
pu dire que la théorie de la valeur de Ricardo a dominé la pensée économique
moderne de la même manière que l’Inquisition avait dominé le Siècle d’Or espagnol.
Pour sa part Karl Popper considère que l’interrogation sur la valeur est purement
métaphysique, dans le sens négatif de ce terme.

Nous avons montré jusqu’ ici l’importance de cette interrogation sur la valeur.
Nous ne sommes pas, toutefois, parti de Ricardo ou de Marx, mais plutôt d’Aristote.
Pour le philosophe grec, en effet, l’être humain est un producteur de valeurs, car
c’est un être de besoins. La valeur n’est pas, dès lors, une catégorie abstraite, mais
bien une catégorie concrète, dans la mesure où les biens (les valeurs) sont ce avec
quoi l’être humain satisfait ses besoins. Les valeurs sont ainsi des produits de
l’activité humaine et ont comme finalité la satisfaction de ses besoins. Cela fait, par
conséquent, comme nous l’avons déjà souligné, que plus l’être humain a besoin de
quelque chose, plus cette chose a de la valeur pour lui. Au sens strict du terme, le sujet de ces besoins est la singularité concrète, mais la forme de ses besoins est
toujours médiatisée par la communauté sociale dont elle est le produit, et par le
groupe dont elle est inscrite.

Les biens par eux mêmes ont une valeur qui correspond, précisément, à ces
besoins socialement déterminés. Il se pose dès lors la question de savoir qu’est ce qui
conditionne la valeur des biens ? La réponse la plus conforme à la logique de cette
problématique est celle de dire : que le conditionnant n’est autre que celui de
l’importance des besoins. Mais dans la réalité les besoins, dont il est question, ne sont
pas des besoins de l’idée de la chose, mais plutôt de la chose elle-même. De sorte que
ces besoins, dans leur dimension réelle renvoient à l’existence quantifiable des biens
dont il est question.

Les besoins donnés dans leur dimension quantifiable sont précisément, ce que
nous appelons une demande. À cette demande ne s’oppose pas généralement une
quantité donnée, ne pouvant être modifiée, comme dans le cas des objets d’art. Nous
avons plutôt affaire à une capacité productive qui se trouve en conditions
immédiates, d’offrir une quantité plus ou moins grande des biens en question. C’est
la raison pour laquelle nous disons d’un côté, que la valeur d’échange se réalise dans
et par l’échange, mais de l’autre qu’elle est conditionnée par le rapport entre l’offre
et la demande.

Pour ce qui est du processus de l’échange, ou de la circulation, il faut dire qu’il
est conditionné, dans ces différents moments, par le marché dans lequel il se réalise.
Nous avons ainsi affaire : soit à des marchés nationaux qui sont ordonnés d’une
manière plus ou moins différente, soit au marché international.

La loi de l’offre et de la demande détermine la valeur des marchandises, comme
l’a souligné Malthus, selon leur raison inverse. Cela veut dire, par conséquent, que la
valeur est en rapport direct avec l’importance de la demande et en raison inverse à l’importance de l’offre. Le régulateur englobant est ainsi une relation d’ordre
quantitative. En effet, dans un marché donné il peut y avoir une demande de tant
de biens par rapport à une offre d’une quantité donnée de ces mêmes biens. Dans la
réalité ces données sont des virtualités, et sont effectives seulement une fois que le
processus s’est accompli. À la base nous avons de chaque côté des puissances en
puissance. Plus précisément, du côté de l’offre nous avons affaire en plus d’une
quantité de biens stockés ou en circulation, à une capacité productive plus ou moins
importante. Du côté de la demande nous avons affaire, par contre, à un pouvoir
d’achat qui peut être plus ou moins disponible, pour l’acquisition d’un bien donné.
De sorte que dans le phénomène de la valeur d’échange, il convient de tenir
compte non seulement de la loi qui la détermine, mais aussi des conditions de sa
réalisation. Il y a, en effet, d’une part, l’opposition des besoins et de la capacité pour
les satisfaire, et de l’autre, les différents moments qui permettent la réalisation de ce
processus. La loi de l’offre et de la demande est, pour ainsi dire, le mécanisme
régulateur, tandis que le processus de réalisation en est sa manifestation
phénoménale.

Ricardo et Marx ont perçu, quant à eux, la réalisation de la valeur d’une manière
différente. Pour eux, en effet, la valeur des marchandises est déterminée par le temps
de travail socialement nécessaire à leur production. Il convient de rappeler que le
concept de socialement fut introduit par Marx. Ricardo parle pour sa part de temps
nécessaire à la production. On peut toutefois, à partir du concept du travail chez
Ricardo, penser que le temps nécessaire dont il est question, est celui imposé par la
concurrence internationale. De sorte que la définition de Marx est plus étroite que
celle de Ricardo. En effet, l’auteur du Capital ne tient compte que du temps
socialement nécessaire, donc celui qui est conditionné par la concurrence à l’intérieur
d’une société donnée.

Quoi qu’il en soit, il est clair que pour les théoriciens de la valeur travail, le temps
socialement nécessaire à la production36 est le fondement de la valeur. En d’autres
termes, ce temps cristallisé constitue la substance de la valeur. Le prix effectif est,
quant à lui, selon ces théoriciens, le résultat de l’incidence de l’offre et de la demande
sur la valeur elle-même. De sorte que le prix pivote autour de la valeur : tantôt il est
au dessus, tantôt il est en dessous.

À partir de cette théorie il faut tirer deux conséquences que le marxisme a
toujours mis en lumière : premièrement, que la production est la seule source de la
valeur, et deuxièmement que le travail productif est le seul qui créée de la valeur. De
sorte qu’à partir de la théorie de la valeur travail, dans un sens strict du terme, les
intermédiaires -le transport, la distribution, la commercialisation, la publicité et la
vente, pour ne prendre que les moments essentiels- n’ajoutent aucune valeur. Tout
ceci sans parler de la T.V.A. qui dans certains produits participent comme on le sait,
d’une manière significative au prix final.

Ainsi, le célèbre théoricien de la valeur – travail ne rend pas compte de la partie
essentielle de la valeur-ajoutée, dans la formation de la valeur. Dans la réalité on sait
que ces facteurs peuvent multiplier par plusieurs fois les déterminations participant
à la production : CC + CV+ PV, pour employer la formule marxiste. Prenons le cas
de l’essence en France. On sait que la seule taxe -la TIPP37 participe pour plus de
80% du prix final de ce produit…

*36 Dans ce qui suit nous prenons la version marxiste pour éviter toute confusion.

Nous avons, aussi, très souvent affaire à des biens dont l’essentiel de la valeurajoutée
peut se situer du coté du transport ou de la vente, voire de son
conditionnement. En tout cas, la réalité est pleine d’exemples qui nous montrent
précisément que la valeur de la production ne constitue qu’une simple partie du prix final. La valeur donnée par la production est, en générale, inversement
proportionnelle à l’élargissement du marché. À notre époque, par exemple, où le
marché international est si important, il est évident que la valeur donnée par la
production ne constitue qu’une partie de plus en plus marginale du prix final.
Il n’est pas difficile, en effet, de constater que le marché, dans sa dimension
concrète, ne fonctionne pas d’après la logique de la théorie valeur-travail. Cette nonconformité n’est pas, il faut le souligner, une conséquence du développement du
marché. Certes, cette distance s’est accrue avec ce développement. Mais, en tout état
de cause, il est problématique de penser qu’une telle théorie puisse être valable dans
une structure marchande. On peut, à la rigueur penser que cette théorie peut être
valable pour une petite communauté vivant en circuit fermé et où les producteurs
indépendants seraient voisins les uns par rapport aux autres. Dans une telle réalité,
on peut penser que puisque les intermédiaires ne sont pas nécessaires, l’échange se
ferait selon le principe du temps de travail nécessaire à la production, dans la
communauté en question. Ainsi, si la production du lapin prend deux fois plus de
temps que celle des poules, il n’est pas absurde de penser que l’échange pourrait se
faire selon le rapport conditionné par le temps de travail, c’est à dire de deux poules
pour un lapin.

En l’occurrence on se trouverait dans un cas plus ou moins semblable à celui des
chasseurs, dont parle Adam Smith dans la Richesse des Nations38. Or, le problème
est que cette communauté de producteurs indépendants, aussi bien que la société
des chasseurs dont parle Smith, sont de simples abstractions qui n’ont rien à voir
avec la réalité marchande, quelque soit sa manifestation. Dans cette réalité ce qui
conditionne la valeur c’est le rapport entre les disponibilités des biens et les besoins solvables, ou comme disait John Locke39 : le rapport entre les vendeurs et les
acheteurs.

37 La taxe interne pour les produits pétroliers.
38 Livre I, chapitre 6.

Car indépendamment de ce temps de travail il y a le fait qu’un producteur –
dans cette petite communauté de producteurs indépendants, que nous venons de
supposer – peut produire plus de ce qui est demandé, auquel cas l’échange ne peut
pas se faire selon le rapport présupposé par cette théorie. D’ailleurs ce n’est pas parce
qu’un bien cristallise un temps de travail donné qu’il va être vendu, par son
producteur, selon cette mesure. En effet, il faut être conscient que si tel était le cas la
surproduction et ses crises n’auront aucune raison d’être.

À partir de ce que nous venons de dire et compte-tenu de l’historicité de cette
thèse de la valeur travail, il est clair que la problématique smithienne sur le temps de
travail fut mal comprise par Ricardo. En effet, chez Smith le temps de travail ne
détermine pas la valeur échangeable des marchandises. Le travail est plutôt chez lui
la mesure réelle de la valeur échangeable de toutes les marchandises. Nous parlons,
précisément, de cette problématique de la mesure de la valeur dans le sous-chapitre
suivant.

En tout état de cause, c’est cette confusion qui va mener Marx à présenter la
formation de la valeur de la façon suivante : Le capitaliste disposant d’un capital
constant (CC) donné40, engage des ouvriers (CV)41 en vue de produire des
marchandises42. Or, Marx soutient que selon la théorie de la valeur43, l’ouvrier est le
seul à ajouter de la valeur.

39 Dans ces célèbres Considérations concernant la valeur de la monnaie.
40 Donc, de matières premières, des instruments de production (machines et/ou outils) et d’un local.
41 Capital variable, comme il appel le coût du travail.
42 Des biens semi-finis ou des biens finis.
*43 Issu de Ricardo, comme nous l’avons vu.

De sorte que le CC + la valeur ajoutée (VA) par le travail des ouvriers donnent le
produit final (PF). Supposons à partir de là que le CC= 4 unités (U) et que le PF
résultant de la valeur-ajoutée par le travail soit de 10 U. Nous avons alors la formule
suivante : CC:4U+VA:6U=PF:10U Mais, voilà nous dit Marx : l’ouvrier ne garde pas
la totalité de la valeur qu’il a créée. Le capitaliste prend une partie que nous allons
supposer de 50%. Par conséquent la formule suivante nous donne ce que le
théoricien du socialisme dit scientifique appelle, la composition organique du capital
:CC:4U
CV:3U
PV:3U

Il est important de savoir que le capitaliste partage ces trois unités avec le
commerçant et que, en plus, il doit subventionner le pouvoir politique de l’État. En
effet, l’élite politique du système capitaliste est, toujours selon Marx, le comité
d’administration des affaires communes de toute la bourgeoisie.

En tout état de cause, dans la théorie de Marx les marchandises ne peuvent pas
être vendues à un prix très supérieur à celui donné par la valeur. Le prix pivote
autour de la valeur, mais tout compte fait les marchandises sont vendues,
globalement parlant, selon leur valeur. Les écarts donnés par le prix ne font
qu’exprimer le fait qu’il y a des capitalistes qui sont plus avisés que d’autres.
Mais, par-delà la problématique de la valeur des marchandises, retenons que
pour Marx, cette loi de la valeur-travail est aussi susceptible d’expliquer la valeur du
travail et celle de la monnaie. En d’autres termes, pour lui la loi de la valeur-travail
est la clef universelle, capable de résoudre toutes les énigmes qu’enferme le système
capitaliste. C’est justement cette croyance -sous sa forme ricardienne ou marxiste-,
qui a dominé une partie très importante de la théorie économique depuis le deuxième tiers du dix-neuvième siècle. La certitude par rapport à sa logique
empirique fût-t-elle, qu’elle fut considérée comme la thèse scientifique par
excellence. Hier encore, par exemple, on tenait pour fou ou provocateur celui qui
mettait en doute sa véracité.

5) De la valeur échangeable

La valeur échangeable d’un bien est ce contre quoi il s’échange. Cette valeur
renvoie, dès lors, à la mesure qui estime la valeur de cette valeur. -À partir de cette
définition il convient, par conséquent, de faire la différence entre ce qui détermine la
valeur des biens et ce qui mesure cette valeur. La première catégorie est un
conditionnant, tandis que la deuxième est un déterminant qui se rapporte à la
mesure de ce qui est ainsi déterminée.

De sorte que la valeur échangeable de chaque marchandise renvoie à sa
valorisation. Normalement nous réalisons cette valorisation avec la monnaie, mais
les variations de cet instrument -surtout à notre époque- sont telles qu’il est
nécessaire de nous rapporter à un référentiel théorique plus stable.
Adam Smith nous a déjà indiqué à ce propos qu’il est important de faire la
différence entre la valeur nominale et la valeur réelle des biens. Pour lui, la monnaie
donne la valeur nominale, tandis que le travail -et plus précisément le temps de
travail- donne la valeur réelle. Cette problématique va introduire comme nous
l’avons déjà signalé, à partir de Ricardo une confusion de premier ordre. Ceci, à
cause du fait que Ricardo confond la valeur d’échange avec la valeur échangeable.
Dans la tradition marxiste on dit par exemple, à ce propos, que Smith avait signalé
l’importance du temps de travail dans la formation de la valeur, mais qu’il s’était
perdu dans sa propre démarche. Ce n’est que Ricardo qui va trouver le droit fil de
cette logique et parvenir ainsi à fonder la pensée scientifique. Or, comme nous
venons de l’indiquer la source du malentendu se trouve précisément dans le fait que l’auteur des Principes ne réalise plus la différence entre la valeur d’échange des biens
et leur valeur échangeable. L’une, répétons le, renvoie à la valeur d’échange des
biens en eux mêmes, tandis que la deuxième catégorie se rapporte à la valeur de la
mesure.

Cette différence est essentielle, car elle concerne la relation réelle dans l’échange,
qui est celle du rapport entre les biens et leur mesure. Cette différence est d’autant
plus nécessaire à saisir actuellement que nous vivons une époque où non seulement
les monnaies varient beaucoup, mais aussi un moment historique où les ordres
institutionnels de chaque nation rendent difficile de saisir la différence du pouvoir
d’achat des monnaies.

Mais, avant d’aller plus loin dans cette réflexion posons la question de savoir ce
que Smith nous dit par rapport aux catégories que nous sommes en train de traiter.
Pour ce qui est de la valeur nominale l’auteur de la Richesse des Nations signale en
toute simplicité que : «quand il y a identité de temps et de lieu, l’argent est la
mesure exacte de la valeur échangeable de toutes les marchandises ; mais il ne l’est
que dans ce cas seulement » *44.

*44 Livre 1, chapitre 5.

Puis, pour ce qui est la valeur réelle, il nous explique que « nous ne pouvons pas
apprécier les valeurs réelles des différentes marchandises, d’un siècle à un autre,
d’après les quantités d’argent qu’on a données pour elles. Nous ne pouvons pas les
apprécier non plus d’une année à l’autre, d’après les quantités de blé qu’elles ont
coûté. Mais, d’après les quantités de travail, nous pouvons apprécier ces valeurs avec
la plus grande exactitude, soit d’un siècle à un autre, soit d’une année à l’autre. D’un
siècle à un autre, le blé est une meilleure mesure que l’argent, parce que, d’un siècle
à l’autre des quantités égales de blé seront bien plus prêt de commander la même
quantité de travail, que ne le seraient des quantités égales d’argent. D’une année à
l’autre, au contraire, l’argent est une meilleure mesure que le blé, parce que des
quantités égales d’argent seront bien plus prêt de commander la même quantité de
travail » *45.

Il est clair, par conséquent, que la valeur échangeable d’un bien est la quantité
de travail que ce bien est en état d’acheter ou de commander. Nous mesurons cette
valeur soit d’une manière nominale, soit d’une façon réelle. Dans la vie de tous les
jours nous nous débrouillons très bien avec la valeur nominale. C’est lorsque nous
essayons d’aller au-delà de cette dimension immédiate que le référentiel réel
s’impose comme une nécessité.

Remarquons qu’à l’époque de Smith la valeur nominale était plus stable que de
notre temps. Alors, l’or comme étalon ne donnait pas seulement une valeur très
stable à court et moyen terme, mais il s’agissait aussi d’une mesure universelle. De
sorte que cette mesure était, selon son poids, valable pour toutes les nations. Par
rapport à cette problématique, il est important de rappeler qu’à notre époque nous
n’avons pas d’une part, un tel étalon universel, mais que de l’autre, les différentes
monnaies varient, selon leur valeur en échange, suivant un rythme plus ou moins
important. De sorte que la prise en compte du référentiel réel est plus important à
notre époque qu’elle ne le fût du temps de Smith et de la période classique en
générale.

*45 Ibidem.

Cela étant dit, il est à remarquer que Smith ne nous parle pas uniquement de la
monnaie et du travail comme référentiel, mais aussi du blé. En effet, ce référentiel
fût très usité à l’époque dite bourgeoise classique de l’Europe occidentale. Grosso
modo, du onzième au dix septième siècle. On pensait alors que le rendement du blé
était très stable. Nous savons à présent que cela fut plus ou moins le cas à l’époque.
Quoi que déjà du temps de Smith, en Angleterre notamment, ce phénomène avait
été bouleversé par l’introduction d’engrais et par le système de la rotation des
cultures. En tout état de cause, la recherche de l’histoire dite quantitative46, nous
montre que le rendement du blé est passé en France de 5,5 pour un au douzième, à
9 pour un à la veille de la Révolution française. Puis, ce rendement est monté à 24
pour un à la veille de la deuxième guerre mondiale. Nous sommes actuellement à
plus de 75 pour un. Il s’avère dès lors, problématique de continuer à employer ce
référentiel comme instrument de mesure.

Celle-ci est la raison pour laquelle il ne nous reste comme viable, pour mesurer la
valeur échangeable des biens, que les deux catégories que nous sommes en train de
traiter. – Nous allons laisser, pour le moment, de côté la valeur nominale. Nous
allons considérer cette catégorie lorsque nous traiterons le problème de la formation
des prix au chapitre 3.

*46 Que nous trouvons dans ces deux grands monuments qui sont L’Histoire Economique et Sociale du Monde, dirigé par Pierre Léon et L’Histoire Economique et Sociale de la France, dirigée par Fernand Braudel.
On peut, à présent, se poser la question de savoir quelle est la dimension
pratique d’une telle mesure, en tant que valeur réelle de l’échange. Le premier
niveau d’une réponse, nous semble être donné par Smith dans le passage suivant : «
Un homme est riche ou pauvre, suivant les moyens qu’il a de se procurer les besoins,
les commodités et les agréments de la vie. Mais la division une fois rétablie dans
toutes les branches du travail, il n’y a qu’une partie extrêmement petite de toutes ces
choses qu’un homme puisse obtenir directement par son travail ; c’est du travail
d’autrui qu’il lui faut attendre la plus grande partie de toutes ces jouissances ; ainsi il
sera riche ou pauvre, selon la quantité de travail qu’il pourra commander ou qu’il
sera en état d’acheter. » *47

Dans ce passage il faut faire la différence, en ce qui concerne le point de vue de
la singularité, entre : premièrement, un état d’existence collective où chacun est
autosuffisant, et deuxièmement, un état social dans lequel l’existence sociale se
réalise grâce à l’échange. Comme nous l’avons signalé plus haut, la première forme
d’existence est une hypothèse de travail très usitée à l’époque classique. Dans la
réalité un tel état des choses n’a jamais existé, pour la simple raison que comme l’a
signalé Aristote l’être humain n’est pas un animal capable d’autosuffisance. Il a
toujours besoin de l’échange pour subsister. Le « trucking disposition » *48 dont parle
Smith est précisément une caractéristique de sa dimension d’animal
communautaire.

47 C’est encore un passage du livre 1, chapitre 5.
48 La propension à l’échange disons nous actuellement.
*49 Ou bien Smith dirait : »The necessaries and conveniences of life. »

Cela dit, il est clair que dans son existence sociale, l’être humain ne satisfait pas
ses besoins avec ce qu’il produit. Il est obligé, pour cela, d’échanger une partie de
plus en plus importante de son travail avec celui des autres. Le développement des
échanges est en rapport direct au niveau d’individuation et du développement social
en général. À notre époque, par exemple, les individus emploient la totalité du
produit de leur travail social pour se procurer les biens dont ils ont besoin.49
De sorte que la valeur réelle du produit d’un travail donné est égale à la quantité
de travail que ce produit le met en état de se procurer. Par exemple, si un agriculteur
produit en une année donnée une quantité x de blé, la valeur de ce produit est plus
élevé, par rapport aux autres années, s’il le met en état de se procurer plus de biens et services. En effet, dans la réalité, il échange l’ensemble du produit de son travail
avec des fractions du produit du travail des autres.

Par conséquent, la valeur réelle du résultat d’un travail d’un individu, ne dépend
pas de sa valeur en argent, mais précisément de la quantité plus ou moins grande
que ce produit le met en état de se procurer. Donc, de son pouvoir d’achat. Ceci est
vrai aussi bien pour le résultat de l’activité des personnes physiques, comme des
personnes morales.

Dans un état inflationniste – et a plus forte raison s’il est hyper-inflationniste -,
comme nous le savons, le pouvoir d’achat que procure un emploi donné ne dépend
pas de la quantité d’argent que le salarié reçoit. Il dépend plutôt de la quantité des
biens et services que ce salaire le met en état de se procurer à une période donnée,
par rapport à une autre. De sorte qu’un salarié peut recevoir à un moment donné un
salaire nominal plus important, mais réellement plus bas.

*50 Nous pouvons aussi employer ce référentiel par rapport à des produits complexes, comme le cas d’un modèle donné d’une voiture. Les américains font souvent appel à ce cas pour précisément savoir si le pouvoir d’achat a varié, dans le sens du plus ou de moins d’une année donnée à une autre. Comme, par exemple, dans quelle mesure le pouvoir d’achat de telle ou telle couche sociale a augmenté ou diminué en 1990 par rapport à 1970.

Du point de vue du temps de travail, le changement dans la valeur réelle peut
s’exprimer de la façon suivante. A un moment donné un salarié peut avoir besoin
de, mettons, 10 minutes de travail pour acheter un kilo de pain. Si l’année suivante il
a besoin du double de temps pour acheter la même quantité, nous pouvons dire que
son pouvoir d’achat a diminué réellement de moitié, et ainsi de suite *50.
Ce référentiel nous permet aussi de mesurer d’une manière plus précise que la
monnaie, la différence du pouvoir d’achat entre les nations. C’est ainsi que si on veut
connaître la différence du pouvoir d’achat des ouvriers non-qualifiés entre différents
pays, le temps de travail pour se procurer une série de biens nécessaires et standardisés s’avère plus adéquat que si nous employons un instrument monétaire
donné. En l’occurrence une monnaie internationale tierce. Le phénomène de la surévaluation et de la sous-évaluation d’une monnaie par rapport aux autres, tend
précisément à rendre aléatoire ce mode de calcul. La thèse du travail comme mesure
réelle nous permet aussi de saisir d’autres phénomènes. Comme par exemple,
pourquoi tout en gagnant moins d’argent, traduit en monnaie internationale, les
classes aisées des pays les plus pauvres vivent mieux que les classes aisées des pays
riches. En effet, dans les pays pauvres la main-d’oeuvre est très bon marché. De sorte
que la valeur produite par une activité donnée permet d’avoir accès à une quantité
de travail – en services et en biens produits dans le pays – plus importante. Cela
explique, par conséquent, pourquoi un professionnel moyen d’une catégorie donnée,
dans un pays pauvre dispose d’un pouvoir d’achat réel supérieur à celui des pays
riches. Ceci même si, comme nous l’avons indiqué, le premier gagne moins en
monnaie internationale que le second. Bien évidemment derrière cette simple
constatation se trouve la loi sociologique générale, selon lequel l’appauvrissement
social accroît les inégalités, tandis que l’enrichissement mène au nivellement.

 

extrait de : Norman PALMA
Introduction à la Théorie Économique que vous pouvez télécharger gratuitement ci-dessous

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